La saison des fleurs de courgette ne dure qu’un instant : elles s’ouvrent à l’aube et se fanent avant que le soleil ne soit haut. Dans ce laps de temps fragile, la Provence transforme ces corolles jaune pâle en beignets diaphanes qui crépitent sous la dent. Imaginez un pétale velouté enveloppé dans une coque quasi translucide, si légère qu’elle se brise d’un souffle et libère un parfum vert rappelant une courgette à peine cueillie au potager.
Construire le croustillant idéal
Toute l’affaire commence par une pâte à beignet qui ne vole jamais la vedette à la fleur. Cent vingt-cinq grammes de farine de blé ordinaire, d’une blancheur discrète, en constituent la toile de fond. Ajoutez ensuite quinze grammes de semoule fine, celle qui façonne les gnocchi à la romaine : apport apparemment modeste mais décisif. Chaque grain légèrement rugueux s’insère entre les chaînes de gluten, limite la cohésion et prépare le futur crépitement.
Fouettez ensuite deux sachets de safran (un geste qui rappelle la préparation d’un risotto au champagne), puis incorporez 240 ml d’eau glacée, plate ou pétillante selon la légèreté recherchée. Le froid enveloppe aussitôt le bol d’une brume légère. Les bulles de l’eau gazeuse n’attendent que l’huile brûlante pour se transformer en vapeur et gonfler la pâte en dentelle. Un fouettage bref suffit : dès que la pâte est homogène, cessez de mélanger pour éviter qu’elle ne devienne trop élastique. Conservez ustensiles et ingrédients bien au froid pour prolonger cet effet.
Semoule et eau pétillante : secrets du croustillant
Hors de Provence, nombreux sont ceux qui confondent croustillant et épaisseur. La semoule balaie ce malentendu : lorsque le beignet frit, ses micro-poches d’air se dilatent et forment une coque qui résonne comme un soufflé. Les bulles emprisonnées dans la pâte glacée se vaporisent à 100 °C, propulsant la matière vers l’extérieur. Elles créent alors un réseau délicat d’alvéoles que l’on retrouve aussi dans les calamari fritti italiens. Le résultat : un beignet soufflé qui ne résiste pas, s’effritant en éclats dorés avant de céder à la douceur végétale de la fleur.
Préparer, farcir, préserver la friandise
La cueillette se fait avant le lever du soleil, quand les cageots du marché luisent encore de rosée. Les fleurs mâles, suspendues à de fins pédoncules, sont plus nombreuses ; une fois frites, elles offrent une bouchée végétale presque austère. Les fleurs femelles, reconnaissables au minuscule embryon de courgette qu’elles portent, livrent une texture plus charnue et exigent une cuisson légèrement plus longue.
Chaque corolle est ouverte délicatement pour déloger d’éventuels insectes, puis passée rapidement sous l’eau froide. Suspendues tête en bas sur un linge, elles s’égouttent sans meurtrir les pétales. Pour un cœur coulant, vous pouvez glisser à l’intérieur un dé de mozzarella et un ruban de jambon, repliés comme on borde une couverture : la farce protège avant tout la texture satinée de la fleur pendant son bain bouillonnant.
Calibrer mâles et femelles
Procédez par fournées distinctes pour garantir une cuisson homogène : les mâles, plus fins, dorent plus rapidement, tandis que les femelles, plus charnues, nécessitent un peu plus de temps. Cette organisation assure un service fluide, même lorsque la salle bourdonne.
De la friteuse à l’assiette : maîtriser l’instant final
Faites chauffer une casserole d’huile végétale à feu moyen (autour de 160 °C à 170 °C si vous disposez d’un thermomètre). Trop chaude, l’huile brunirait la pâte avant que la fleur ne se réchauffe ; trop tiède, elle s’y infiltrerait. Tenue par la tige, chaque fleur est plongée doucement dans l’huile afin de laisser s’écouler l’excédent de pâte. Quand le premier grésillement s’apaise, une légère rotation assure une dorure uniforme. Dès que les pétales passent du jaune pâle à l’or vif, égouttez-les sur du papier absorbant posé sur une grille de refroidissement. Servez aussitôt : au bout de cinq minutes, la vapeur résiduelle ramollit la coque et étouffe le crépitement tant recherché. Un simple souffle de fleur de sel suffit.
Variations italiennes
Dans les bastides, les cuisinières jurent de ne rien ajouter ; ailleurs, les garnitures se réinventent à l’infini. ricotta parfumée au citron, piment d’Espelette ou même chocolat (à découvrir dans nos desserts) permettent à chacun de signer sa corolle. Quelques pincées d’estragon ciselé dans la pâte apportent une note anisée qui exalte la douceur de la courgette, un accord qui rappelle les artichauts à la romaine.
Pour l’accord, optez pour un verre bien frais de Vermentino, dont la minéralité tranche avec la friture, ou pour une bière blonde légère servie dans un verre à bière givré. À l’apéritif, ces boissons complètent la bouchée. Autre option rafraîchissante : un sorbet ananas-Prosecco. Et si la table s’anime, un vitello tonnato posé au centre prolongera la parenthèse méditerranéenne.
Beignets de fleurs de courgette
Ingrédients
Fleurs
- 10 fleurs de courgette
Pâte
- 125 g de farine tout usage
- 15 g de semoule de blé pour une texture extra croustillante
- 240 ml d’eau fraîche ou pétillante
- 2 sachets de safran
- de sel
Farce (optionnelle)
- mozzarella facultatif, coupée en cubes
- jambon facultatif, en petits morceaux
Cuisson
- huile végétale pour la friture
Procédé
Préparation des fleurs
- Lavez les fleurs en veillant à ce qu’il n’y ait pas d’insectes à l’intérieur.10 fleurs de courgette
- Coupez le sépale mais laissez le pédicelle des fleurs mâles.
- Laissez-les s’égoutter tête en bas.
Farce
- Préparez la farce en découpant la mozzarella en cubes.mozzarella
- Lorsque les fleurs sont sèches, placez la farce (mozzarella et jambon) à l’intérieur de chacune d’elles.jambon
Préparation de la pâte
- Dans un saladier, mélangez la farine et la semoule de blé avec le safran.125 g de farine, 15 g de semoule de blé, 2 sachets de safran
- Ajoutez l’eau et le sel puis fouettez jusqu’à obtenir une préparation homogène.240 ml d’eau, de sel
- Trempez les fleurs dans la pâte en fermant le haut pour qu’elles soient bien enrobées.
Cuisson
- Faites chauffer l’huile pour la friture à feu moyen.huile végétale
- Faites frire les fleurs dans l’huile chaude jusqu’à ce qu’elles soient dorées.
- Retournez-les pour assurer une cuisson uniforme.
- Déposez-les sur du papier absorbant pour éliminer l’excès d’huile.
- Servez immédiatement afin qu’elles restent chaudes et croustillantes.
Notes
- Utilisez de l’eau pétillante très froide pour une pâte encore plus aérée.
- Les fleurs de courgette se dégustent idéalement juste après la friture ; préparez tous les éléments à l’avance pour frire à la dernière minute.
- Variez la farce (ricotta, anchois, herbes fraîches) selon vos envies.