Un classique italien frais et savoureux mêlant fines tranches de veau nappées d’une onctueuse sauce au thon et aux câpres.
Une assiette arrive : des tranches de veau si fines qu’elles semblent translucides. Chaque lamelle, couleur pétale, est laquée d’une crème beige rosé. Le parfum salin mêle thon, saumure de câpres et pointe de citron.
Cette première bouchée, à la fois soyeuse et vive, provient pourtant d’un plat né loin de toute côte, dans les vallées fluviales brumeuses du Piémont. Pour reconnaître l’authentique, il faut plus qu’une recette : il faut connaître l’histoire du « vitel tonnè », comprendre pourquoi les nonne piémontaises rejettent encore les pots de mayonnaise, et savoir repérer les indices sensoriels (découpe, sauce, parfum) qui trahissent un imposteur. Au dernier morceau, vous défendrez une sauce sans mayo avec la fierté obstinée d’une grand-mère des Langhe.
Quand l’histoire façonne le plat
Du veau assaisonné à un mariage avec la mer
Les premiers témoignages, dans les livres de cuisine piémontais des années 1760, évoquent un veau bouilli nappé d’une sauce vigoureuse (recette) aux anchois et aux câpres. Le mot « tonné » ne vient pas du thon, mais du français « tanné », c’est-à-dire assaisonné, imprégné de saveur.
Les cuisiniers maquillaient ainsi les restes de veau sous un camouflage à la saveur umami (goût savoureux), sans thon mais avec des anchois. À mesure que les routes du sel faisaient remonter les filets salés depuis la Ligurie, des bouchers inventifs ont commencé à traiter le veau comme du thon : le saumurer, le laisser frémir dans du vin blanc, voire enfermer les tranches dans l’huile.
Le tournant décisif survient en 1862, lorsque le médecin-cuisinier milanais Angelo Dubini incorpore enfin du thon haché dans la sauce. Vingt-neuf ans plus tard, Pellegrino Artusi canonise l’alliance dans sa recette n° 363 : veau bardé mijoté aux herbes, refroidi, puis enveloppé dans une émulsion de thon, d’anchois, de câpres, d’huile d’olive et de citron.
Toujours pas de mayonnaise, bien qu’Artusi consacre plusieurs pages distinctes à ce condiment. Après la Seconde Guerre mondiale, Il Cucchiaio d’Argento (1950) propose une seconde variante, à base de mayonnaise, aux côtés de la sauce traditionnelle épaissie au jaune d’œuf et, dès 1967, certains livres lombards réclament des cuillerées « abondantes ». Pourtant, dans les trattorie du Piémont, nombreux sont ceux qui restent fidèles, en silence, à la version d’Artusi.
Les incontournables : ingrédients et technique
La formule aux cinq piliers
Le véritable vitello tonnato repose sur cinq saveurs qui s’imbriquent comme des engrenages : le tendre girello (rond de veau), le thon conservé dans l’huile d’olive, l’anchois au sel, les câpres en saumure et le citron frais. La viande n’est pas cuite jusqu’à la ficelle, mais pochée doucement dans un bouillon de vin blanc parfumé au laurier, à la sauge, au céleri et au clou de girofle, puis refroidie lentement dans son jus afin de rester rosée et juteuse. Ce n’est que lorsque le rôti est bien froid qu’on saisit un couteau à découper (ou, au restaurant, une trancheuse) pour en tailler des feuilles quasi transparentes.
La sauce commence par des jaunes d’œufs durs, du thon, de l’anchois et des câpres pilés ou mixés en une pâte, avant que l’huile d’olive extra-vierge ne soit incorporée goutte à goutte, à la manière d’une aïoli. Un trait de citron et quelques cuillerées de bouillon refroidi assouplissent le mélange jusqu’à ce qu’il coule comme du velours. Si vous tombez sur du bœuf, de la dinde, une crème sans câpres ou une sauce épaissie uniquement avec de la mayonnaise industrielle, vous avez affaire à un raccourci qui atténue la profondeur de goût du plat.
Mayo ou pas ?
Le casse-tête de la mayonnaise
Demandez l’avis de dix chefs italiens et vous récolterez autant d’opinions, voire plus. Les puristes brandissent Artusi comme une écriture sacrée : « La maionese non c’era ». Les restaurateurs, débordés au service du midi, concèdent la commodité d’un flacon doseur. En ligne, les fils Reddit fourmillent de compromis : certains montent une mayo riche en jaunes et en huile d’olive pour rester proches de la tradition ; d’autres cuisent le veau sous vide à 56 °C pour une tendreté assurée.
Les cuisines gastronomiques mettent le débat en scène sur la porcelaine : Davide Scabin propose une version alla maniera antica, sauce aérienne mais sans mayo, tandis que Gualtiero Marchesi, dans une réinterprétation ultérieure, a déconstruit le plat en parsemant une mayo maison impalpable autour de petits carrés de veau. Même l’avant-garde s’accorde : l’équilibre prime sur la doctrine, et la saveur la plus profonde éclot lorsque ce sont des jaunes d’œufs cuits, et non des stabilisants industriels, qui lient la sauce.
Service, accords et portée culturelle
Au Piémont, le plat est aussi incontournable que les chants de Noël : les plateaux s’invitent aux tables de fête, aux côtés du gâteau aux noisettes et d’un jeune Nebbiolo. Lorsque la chaleur d’août s’installe, les mêmes familles le commandent dans les trattorie ombragées : le veau froid repose les après-midi bourdonnants de cigales.
La façon classique de le déguster est simple : saisissez une tranche à la fourchette, faites-la glisser dans la sauce en surplus au bord de l’assiette, coiffez-la d’une câpre et poursuivez d’un morceau de pain croustillant. L’acidité de la sauce fait chanter un Arneis vif ; la douceur du veau fait éclore des notes de framboise dans un Nebbiolo non élevé en fût. Lorsque le plat est vide mais que l’assiette embaume encore le citron et la saumure, vous goûtez à plus de 250 ans d’ingéniosité piémontaise dans le parfum délicat et persistant du thon, de la câpre et du veau lentement poché.
Authentique Vitello tonnato
Ingrédients
Viande
- 1 kg de longe de veau ou de porc
- 1 oignon
- 1 carotte
- 1 branche de céleri
- 1 feuille de laurier
- 1 cuillère à soupe de sel
- 4 grains de poivre
- 60 ml de vin blanc
Sauce
- 250 g de thon en conserve dans de l’huile d’olive égoutté
- 4 anchois conservés dans du sel
- 2 œufs durs
- 1 citron jus
- 4 cuillères à soupe de bouillon de cuisson de la viande
- 120 ml d’huile d’olive extra vierge
Garniture
- 10 cornichons au vinaigre
- 20 câpres
- 1 bouquet de persil frais
Procédé
Cuisson de la viande
- Bien parer la viande, sans os et sans gras.
- Placer la longe dans une casserole assez grande pour la contenir.
- Ajouter le vin, le céleri, l’oignon, la carotte, la feuille de laurier, le sel et les grains de poivre.1 carotte, 1 kg de longe de veau ou de porc, 1 oignon, 1 branche de céleri, 1 feuille de laurier, 1 cuillère à soupe de sel, 4 grains de poivre
- Ajouter de l’eau pour couvrir la viande et porter à ébullition.
- Faire bouillir la viande pendant 1 heure.
- Laisser refroidir la viande dans son bouillon.
Sauce au thon
- Mélanger le thon, les jaunes d’œufs, l’huile d’olive extra vierge, les câpres, les anchois et le jus de citron dans un robot culinaire jusqu’à obtenir une texture lisse et crémeuse.60 ml de vin blanc, 250 g de thon en conserve dans de l’huile d’olive, 1 citron, 120 ml d’huile d’olive extra vierge, 4 anchois
- Si la sauce est trop épaisse, ajouter le bouillon de cuisson de la viande pour ajuster la consistance.2 œufs
- Réfrigérer la sauce jusqu’à ce que la viande soit prête.
Assemblage
- Couper finement le veau froid.
- Disposer les tranches de viande sur un plat de service en une seule couche.
- Recouvrir uniformément les tranches de veau de la sauce crémeuse au thon.
- Réfrigérer le plat monté jusqu’au moment de servir.
- Garnir de cornichons et de persil frais.4 cuillères à soupe de bouillon de cuisson de la viande
Notes
- Pour une découpe parfaite, réfrigérez le rôti cuit avant de le trancher finement.
- Préparez le plat la veille : les saveurs se développeront encore plus pendant la nuit.